Carmen fait partie de ces opéras tellement connus, que nous avons peut-être désappris à le connaître. Mais c’est que, à l’instar de son personnage éponyme, il sait habilement cacher son jeu : ponctué de certaines des pages les plus irrésistibles de l’histoire de la musique, il n’en reste pas moins, aujourd’hui encore, une oeuvre à l’insolence scandaleuse ; et toute tragédie interpersonnelle qu’il soit, c’est aussi le portrait pittoresque de toute une société qu’il s’amuse çà et là à dépeindre. Mais il est parfois nécessaire d’abattre ses cartes, et l’héroïne finira d’ailleurs elle-même par s’y résoudre. C’est donc le coeur battant de la tragédie de Carmen, l’essence de ce drame humain à la violence irréductible et à la portée universelle, que cette adaptation pour quatre voix et un violoncelle cherche à nous faire redécouvrir. Délestée des distractions des espagnolades et autres scènes de genre, c’est ainsi toute la fragilité et toute la vulnérabilité de ces êtres trop humains que la production de Frédéric Roels nous enjoint à contempler, sans fard, réduite à son plus simple appareil, et dans un contexte de proximité inédite avec le public. Intimité qui nous confirme sans ambages, que Carmen doit bien son immortalité à la nuance de son analyse des âmes en mal d’amour, et à l’indéniable familiarité des dilemmes qui les déchirent. Une occasion unique de s’émouvoir à nouveaux frais de l’intense théâtralité d’une oeuvre qui ne sera finalement jamais trop jouée, et qui ne cessera jamais de sonner trop juste.