Musical work | Composer | Date of performances | City | Company | |
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Alcina | Händel | 02/07/2015 - 20/07/2015 | Aix-en-Provence | View performance details |
C’est dans l’enthousiasme que s’est conclue la représentation inaugurale du 67e Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence : l’"Alcina"de Haendel a en effet été la fête vocale attendue, mais, grâce à Katie Mitchell, sa metteure en scène, elle est aussi devenue un récit d’aventures - une opération commando - palpitant de suspense, avec effets spéciaux, séquences "torrides"et pointes d’humour.
Ruggiero est l’une des victimes d’Alcina et Morgana, deux redoutables enchanteresses, qui ont pour habitude de métamorphoser leurs proies en animaux ou en végétaux. Bradamante, accompagnée de Melisso, son précepteur, débarque sur leur île, bien décidée à sauver son fiancé. Elle a pour cela pris les apparences de son frère Ricciardo. La situation va évidemment – et éminemment - se compliquer : Ruggiero, ensorcelé, ayant l’air de ne plus aimer Bradamante ; Morgana s’éprenant de Ricciardo-Bradamente. D’autres personnages, s’en mêlent, tout aussi évidemment.
Pour Haendel, le compositeur, il y avait là matière à beaux déferlements lyriques, et il ne s’en est pas privé. L’œuvre abonde en airs merveilleux, catalogue de tous les (res)sentiments humains. Mais un problème délicat est celui de la mise en scène de pareils imbroglios régulièrement plus que statiques – grands airs obligent !
Katie Mitchell a résolu le problème en s’inspirant et en jouant des ressorts que multiplient certains types de films, et l’on pense alors à "Il faut sauver le soldat Ryan"ou à des épisodes de la série Indiana Jones. C’est ainsi que Bradamante-Ricciardo et Melisso surgissent sur le plateau avec tout l’attirail vestimentaire et guerrier de soldats d’"unités spéciales d’intervention", et que plus tard, ils sortiront de leur musette tout le matériel technologique sophistiqué nécessaire à une destruction sans appel de l’île maudite - un petit clin d’œil à James Bond. On n’oubliera pas non plus l’incroyable machine qui transforme en direct un homme ou une femme en lion ou en petit oiseau multicolore. Un autre effet spécial qui ne cesse de subjuguer le public est la métamorphose instantanée de deux vieilles sorcières en séductrices diaboliques : il leur suffit de passer d’une pièce à l’autre ! Les séquences sexuelles ne manquent pas, colorées de références plus qu’explicites au climat sado-masochiste du livre à succès "Cinquante nuances de gris". Ces références peuvent d’abord agacer, mais font finalement sourire quand on se dit qu’elles sont un des pions du "jeu de rôle"de la mise en scène.
Ce qui retient (au sens fort du terme) l’attention, c’est aussi l’art qu’a Katie Mitchell de toujours raconter quelque chose dans un des éléments de sa scénographie. Celle-ci offre à la fois au regard trois pièces au rez-de-chaussée (celle des rencontres et les deux bureaux-laboratoires des magiciennes) et, à l’étage, la machine à transformer les proies. Distrayant, détournant l’attention ? A certains moments oui, mais c’est bienvenu dans la mesure où cela anime les inévitables épisodes "plutôt longuets"de pareils opéras. Et cela a, au contraire, l’avantage de dynamiser les fameux airs "da capo"avec leur triple répétition. D’autre part, Katie Mitchell s’efface quand les personnages ont vraiment des sentiments à exprimer, et le public peut "vivre"les grands airs en toute disponibilité.
D’autant qu’ils sont sublimés par les interprètes réunis pour l’occasion. Quelle magnifique distribution, à la hauteur des attentes : tous se sont pris "au jeu". Ils ont les corps et les qualités scéniques indispensables pour pareille lecture de l’œuvre, mais par-dessus tout, ils (en)chantent leur histoire.
De plus, et pour le bonheur du public, quelle que soit la séduction de la mise en scène (Katie Mitchell, comme Alcina et Morgana, a un fameux pouvoir d’envoûtement), l’orchestre et son chef assument leur rôle essentiel : comme elle est belle cette musique de Haendel, et comme ses notes sont expressives quand elles sont confiées au Freiburger Barockorchester dirigé par Andrea Marcon.
Stéphane Gilbart
(photo Patrick Berger)