Dernière page du XVIIIe siècle ou première du XIXe ? Difficile de trancher. Die Schöpfung, dès sa création, en 1799, a connu un prodigieux succès et conquis une place emblématique, synthétisant diverses traditions pour fonder une nouvelle esthétique sacrée, résolument « symphonique » et germanique, dans sa conception. Le plan du livret, inspiré du Paradis perdu de Milton, fut d’abord esquissé pour Haendel, le père de l’oratorio anglais, avant d’être rédigé en allemand par le baron Gottfried van Swieten (ami de Mozart, traducteur des ouvrages de Haendel) : l’ombre du compositeur saxon plane ainsi sur les chœurs, les fugues, l’évocation de la lumière. Mais celle du Jour du Jugement de Telemann a inspiré les rôles des anges Raphaël, Uriel et Gabriel (basse, ténor, soprano), décrivant avec force détails picturaux l’apparition des astres, tempêtes, baleine, lion, aigle et rossignol, tandis que le Chaos initial semble se souvenir des Éléments du musicien français Jean-Féry Rebel. Hymne panthéiste dans ses premières parties, chrétien et amoureux dans la dernière (introduisant Adam et Ève), ce poème musical annonce les vastes architectures d’un Mendelssohn, d’un Beethoven, d’un Berlioz. Grand spécialiste de la tragédie lyrique, de Lully, de Purcell, Hervé Niquet entreprend donc d’en visiter la lointaine postérité, à la tête de sa polychrome formation, qui porte le nom de la première association de concerts française, et de voix rompues au répertoire mozartien.
